Freidoune SAHEBJAM 
  Le Monde du 12 janvier 1987
  
  
  Il y a quarante ans L'échec de Staline en Iran
  
  
  Dans les tout derniers jours de l'année 1946 s'est   terminée la sécession de la grande province   turcophone d'Azerbaidjan, dont la rébellion face au   pouvoir central de Téhéran avait fait, en une année,   plusieurs milliers de morts.
  Quand, le 25 août 1941 à l'aube, les troupes   soviétiques et anglaises pénétrèrent sur le sol iranien   pour " se montrer efficaces face à la menace nazie "   et " prendre des mesures unilatérales et militaires...   ne devant aucunement porter atteinte à la   souveraineté du pays ", il devenait clair qu'en   envahissant le nord du pays, Staline comptait bien s'y   installer de façon quasiment permanente, lui qui   rêvait de faire de la Caspienne, une mer intérieure   russe. Les cinq mille hommes de l'armée rouge   arrivant du Caucase et du Turkestan se répandirent   en trois colonnes, l'une visant plus particulièrement   Tabriz et la frontière turque, la seconde s'installant   dans les ports du Guilan et du Mazandéran, la   troisième, enfin, ayant pour mission d'occuper le   Khorassan jusqu'à la frontière afghane.
  Pendant cinq jours, l'aviation russe bombarda Tabriz,   Ghazvine, Racht, Bandar-Pahlavi et Machad. Le 30,   le nouveau président du conseil, Foroughi, ordonna   aux troupes iraniennes de déposer les armes et de   coopérer avec les Alliés dans leur lutte contre l'Axe,   qui avait toujours fasciné Reza Chah Pahlavi. Le 16   septembre, le roi abdiqua en faveur de son fils et   partit en exil. Treize gouvernements allaient se   succéder jusqu'à la chute du IIIe Reich. Un traité   tripartite anglo-russo-iranien fut instauré en janvier   1942, respectant " solidairement et individuellement   l'intégrité territoriale, la souveraineté et   l'indépendance de l'Iran " (art. 1) et s'engageant à"   évacuer le territoire iranien au plus tard six mois   après la suspension des hostilités " (art. 5). Les Trois   Grands, qui se réunirent à Téhéran fin 1943, "   partageaient le désir du gouvernement iranien de   voir maintenues son indépendance, sa souveraineté   et son intégrité territoriale... ".
  En fait, tout commença vingt-quatre heures après la   capitulation du Japon par une manoeuvre habile de   Moscou. Jaffar Pichevari (qui s'était rendu célèbre   sous le pseudonyme de Soltanzadeh, puis de   Badkoubei, sitôt après la révolution de 1917, en   tentant de lancer une insurrection communiste en   Iran à partir de Bakou) fondait en Azerbaidjan un   nouveau " parti démocrate ", nom qui pouvait éveiller   chez les esprits non prévenus le souvenir prestigieux   des démocrates de 1906, qui avaient exigé une   Constitution pour la Perse des rois Kadjars. En   réalité, l'ancien Parti communiste iranien (fondé par   Pichevari en URSS, après la victoire définitive de   Lénine) se camouflait derrière ce nouveau groupe   politique. Les nouveaux démocrates réclamaient   l'autonomie de leur province, un statut plus favorable   pour la langue turque, parlée par la majorité des   habitants de l'Azerbaidjan, et une représentation plus   importante au Parlement de Téhéran.
  Le Toudeh fusionna immédiatement avec ce parti, et   le mouvement séparatiste kurde lui apporta son   soutien. Dès lors, tout se détériora très vite; on   signala la présence de troupes russes à Racht,   Ghazvine et même Karadj, à 40 kilomètres de la   capitale. Ni la nomination d'un nouveau président du   conseil (Hakimi) ni l'envoi d'un nouveau gouverneur   (Bayat), ni l'arrivée de trois mille soldats américains   dans la capitale, encore moins le maintien de l'ordre   musclé du général Dérakhchani, commandant la   division du nord-ouest, ne purent éviter le pire : le 19   novembre, les communications étaient totalement   coupées avec Téhéran, et avant la fin de l'année,   l'armée iranienne avait déposé les armes dans tout   l'Azerbaidjan. Plusieurs rencontres Pichevari-Bayat   tournèrent court, et le 12 décembre, un Parlement   local était inauguré et un gouvernement autonome   formé. Pichevari en prenait la tête, les autres postes   importants étant confiés à des hommes sûrs, tels   Salamollah Djavid, disciple zélé de Moscou, qui   prenait en main la police secrète, ou Danichian,   nommé commandant en chef de la nouvelle " armée   du peuple ". Le 22, Radio-Bakou proclamait que "   l'Azerbaidjan devait constituer une République   autonome dans le cadre de l'Iran " et que " le   gouvernement local reconnaitrait le gouvernement   central et appliquerait ses lois à condition qu'elles ne   s'opposent pas à celles promulguées par le   Parlement local. "
  
  
  Les conditions de Moscou
  Débordé de toutes parts, harcelé par un Madjlis de   plus en plus turbulent, pris à partie par la gauche et   le centre nationaliste, le chef du gouvernement   présenta sa démission le 28 décembre; elle fut   refusée. Le député de Téhéran, Mohamed   Mossadegh, demanda à Hakimi de charger le   délégué iranien aux Nations unies de mettre la   question de l'Iran à l'ordre du jour. Le 15 janvier   1946, dans un discours au Parlement, le président du   conseil se justifia longuement. Il apprit par la même   occasion aux députés que, conformément aux   accords de janvier 1942, les Anglais avaient   commencé à quitter le pays. Le 20, il démissionnait.   Une semaine plus tard, il était remplacé par un   homme de soixante-treize ans qui formait son   sixième gouvernement depuis 1922 et qui aura eu le   mérite de terminer définitivement cette pénible   affaire : Ahmed Ghavam Saltaneh, un des auteurs   de la Constitution iranienne, plusieurs fois   emprisonné, puis exilé sous le règne de Réza Chah.
  Il lui fallut deux semaines pour former un nouveau   gouvernement d'union nationale et faire comprendre   aux parlementaires que la solution de cette crise se   trouvait à Moscou.
  Le 19 février, avec une suite de huit personnes,   Ghavam débarquait au Kremlin où il fut reçu par   Molotov. Les Russes savaient que la date limite   d'évacuation de leurs troupes avait été fixée d'un   commun accord avec Londres au 2 mars et que les   troupes anglo-américaines respectaient   scrupuleusement ce calendrier. Moscou tergiversa   et, le 5 mars, Staline offrit un grand banquet en   l'honneur de son hôte iranien. Téhéran s'impatientait.   Le surlendemain, de graves émeutes firent plusieurs   morts devant le Parlement. Le 8, Moscou proposa   six conditions pour l'évacuation de ses troupes : un   traité d'alliance avec l'Iran; la reconnaissance par   Téhéran du gouvernement autonome de Tabriz; la   coordination de la politique extérieure de l'Iran avec   celle de l'URSS; un accord sur l'octroi de   concessions pétrolières dans le Nord; l'encadrement   des troupes azerbaidjanaises par des conseillers   militaires soviétiques et l'occupation de points   stratégiques par l'URSS […]. 
  
  
  Freidoune SAHEBJAM 
  Le Monde du 12 janvier 1987
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