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Mon métier de roi
Entretiens du roi Hussein de Jordanie
avec Fredoune Sahebjam

Edition Robert Laffont, 1975

Le roi Hussein de Jordanie n'a pas encore quarante ans. Il règne depuis vingt-trois ans. Il est le chef d'Etat dont la présence à la tête d'une nation arabe est la plus longue. Et pourtant, il n'a que la moitié de l'âge du Tunisien Bourguiba.
Dans ce monde musulman en perpétuelle ébullition, il a su garder la Jordanie à l'écart des grands bouleversements. Depuis un quart de siècle, la Libye. l'Egypte et l'Irak sont devenus des républiques ; le Maroc, l'Algérie et la Tunisie sont sortis du giron français : le Soudan et les émirats du Golfe ont rompu avec Londres. Mohamed V, Nasser et Feyçal sont morts.
Certes, la vie ne l'a pas épargné : frappé en pleine poitrine par une balle en juillet 1951, sauvé par miracle. il assiste à l'agonie de son grand-père Abdallah. La schizophrénie de son père Tallai l'oblige à accéder à la magistrature suprême à dix-sept ans. Complots, coups d'Etat, guerres civiles, tentatives d'assassinats sur lui-même et ses proches. engagements militaires contre Israël ou des nations arabes désireuses de renverser son régime pro-occidental, deuils, souffrances. jalonnent sa vie.
Le « Métier de roi », Hussein de Jordanie le connaît, et sous tous ses aspects. Racontant le chemin qui est le sien, il raconte ce métier singulier - qui, soudain, grâce à lui, nous devient proche.
  
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MON MÉTIER DE ROI

INTRODUCTION de Freidoune SAHEBJAM

La « Lincoln Continental » brun métallisé se faufile lentement dans les rues encombrées d'Amman. Plusieurs fois, sur le trajet de 5 km séparant le palais royal de Basman du quartier général des forces armées, la voiture est arrêtée par les feux rouges. Très démocratiquement, Hussein freine et s'arrête. Je suis à ses côtés, son aide de camp, le major Badereddine Zaza derrière nous. Pas la moindre escorte, pas le moindre motard, pas le moindre policier.
— Ils savaient que je quittais le palais à 10 h 50. Ils doivent somnoler quelque part. Ils nous rattraperont certainement dans quelques instants.

Quelques badauds reconnaissent leur souverain et applaudissent. Les agents qui règlent la circulation se mettent au garde-à-vous. Le roi semble heureux. Il aime à se promener incognito parmi son peuple, sentir battre le pouls de la nation. Au loin, on entend les sirènes de l'escorte qui se rapproche. Hussein esquisse un sourire et, se tournant vers moi, dit : « Et si on les semait ? » il accélère. Quelques instants de détente et de paix, c'est, pour un roi, rare et précieux.

A l'entrée de la caserne et devant son état-major au grand complet — en tête le maréchal Habes Majali et le général Zeid ben Chaker — les deux Chevrolet de l'escorte surgissent. Le roi me fait un petit clin d'œil complice !

Tout au long de ces journées passées avec le monarque hachémite, au cours desquelles il me fut possible de longuement lui parler, de le voir vivre, de le suivre, je l'ai vu jouir ainsi au maximum de quelques instants de liberté en conduisant seul, sans gardes du corps, en pilotant son hélicoptère, ou en marchant dans le désert pour réfléchir à l'avenir de son pays ou s'entretenir avec des Bédouins, « les plus fidèles parmi les fidèles », ceux qui ne l'ont jamais trahi et qui ont toujours été à ses côtés dans les moments les plus difficiles de son existence.
Gardé nuit et jour par des troupes armées jusqu'aux dents, Hussein a soif de liberté et de détente. Dans son palais, il est suivi comme son ombre par sa garde, soldats en bérets verts, noirs ou rouges, ou encore Tcherkesses tout vêtus de noir, perpétuant le souvenir de l'ancien Empire ottoman, allié du tsar. L'accès au palais est difficile, les fouilles répétées, même si vous êtes attendu et la garde avertie. Combien de fois, des comploteurs s'y sont-ils infiltrés depuis vingt ans ?
C'est sur l'une des sept collines d'Amman que vit le roi et sa famille, dans un palais d'une extrême simplicité, où les meubles de style sont rares, la vaisselle en or massif inexistante. Cette austérité est voulue chez les Hachémites depuis quarante générations, soit depuis leur ancêtre, le prophète Mahomet. Pauvres ils sont, pauvres ils demeureront. Certes, aujourd'hui, les temps ont changé et Hussein possède deux voitures personnelles, quelques motocyclettes et un hélicoptère. Mais est-ce vraiment comme cela que l'on imagine en Occident un patrimoine royal ?
« Je suis né pauvre, et je pense que je mourrai pauvre aussi. »
Dès que l'on franchit les grilles noires de son palais, c'est la foule grouillante et laborieuse d'Amman. C'est aussi un camp de réfugiés palestiniens, que Hussein peut voir de sa terrasse.
« J'aime ce peuple, profondément, et sans lui, je ne serais rien. »
Il devient alors nostalgique, il remonte le cours du temps, il se revoit petit garçon, grandissant avec le peuple et au milieu de lui.
« Ma vie appartient à mon peuple... »
Cette phrase est gravée depuis juillet 1951 dans l'esprit du roi Hussein de Jordanie. Elle fut prononcée par son grand-père, le roi Abdallah, sur la route de Jérusalem, voyage dont il ne devait jamais revenir : il allait en effet être assassiné sous les yeux de son petit-fils, dans la mosquée Al Aqsa.
Un an plus tard, alors qu'il n'a pas encore dix-sept ans, Hussein le Hachémite accède à la magistrature suprême. Jamais il n'oubliera le corps ensanglanté de ce vieillard qu'il vénérait, jamais il n'oubliera le geste qu'il fit pour recouvrir la dépouille du roi de son manteau taché, ni cette balle tirée par le meurtrier et qui ricocha sur sa tunique militaire.
Depuis ce jour, celui que le monde entier a surnommé « le petit roi courageux » a survécu à des dizaines d'attentats, de complots, de soulèvements et de crises. Critiqué par les uns, haï par les autres — mais également estimé et respecté par ceux qui le connaissent bien — il a depuis plus de vingt ans totalement dévoué sa vie et celle des siens à la cause de son peuple et à la paix au Moyen-Orient, refusant toujours les interventions militaires non justifiées, s'opposant au terrorisme et aux assassinats, préconisant la modération et une certaine pondération, le dialogue, la concertation.
A-t-il rencontré secrètement « les gens d'en face », comme certains l'ont dit ou écrit ? Il répond par la négative, ajoutant simplement qu'Israël a également démenti ces allégations.
A-t-il, de sang-froid, comploté contre les Palestiniens en septembre 1970, pour les éliminer définitivement du sol jordanien ? Il répond encore par la négative, soulignant que durant ces événements tragiques, présents dans toutes les mémoires à l'est de la Méditerranée, il n'y avait pas « des Palestiniens contre les Jordaniens, mais des Palestiniens dans les deux camps, et des Jordaniens dans les deux camps ».
Est-il, comme certains leaders arabes des années 50 et 60 l'ont dit, un agent de l'impérialisme et du capitalisme ? Il répond toujours par la négative car, selon lui « avoir choisi le monde libre ne veut pas obligatoirement dire avoir choisi le grand capital et les grands trusts ».
Tout au long de ces vingt dernières années, il m'a été permis de rencontrer et de m'entretenir avec un grand nombre de chefs d'État et d'hommes politiques de tous bords, de tous horizons, de toutes croyances et de toutes convictions : capitalistes, socialistes, monarchistes, libéraux, musulmans, juifs, chrétiens.
Hussein de Jordanie est l'un des plus fascinants. Son intelligence, sa passion, sa très grande sincérité, sa franchise, sa modestie en font un personnage hors du commun. Très croyant, il souhaite que chacun prie son Dieu avec ferveur et à sa manière. Tolérant, il a pardonné les erreurs — même les plus graves — et rendu à ses compagnons d'enfance, qui complotèrent contre lui dans les années 50, leur dignité et sa confiance. Assoiffé de liberté, il ne tourne pas irrémédiablement le dos aux nations de l'Est européen et aux pays qui ont choisi une voie plus à gauche. Ami très sincère d'hommes aussi différents que le sont le Shah d'Iran, le président Sadate ou Hassan du Maroc, il essaye contre vents et marées de garder de bonnes relations avec certains États arabes progressistes et leurs chefs qui ne l'ont pourtant pas ménagé depuis son accession au trône.
Il a connu Churchill, Eisenhower, Kennedy, Johnson, de Gaulle, Khrouchtchev, Nasser, Nehru, tous morts aujourd'hui. Il a rencontré plusieurs fois Eden, MacMillan, Heath, Nixon, retirés depuis des affaires. « Au contact de chacun, je me suis enrichi. Chacun d'eux m'a appris quelque chose, ce qui à mes yeux, est l'essentiel. Quelles différences entre un Hammarskjöld ou un Feyçal, entre un U. Thant ou un Pompidou... Et pourtant, tous m'ont fasciné, m'ont séduit. »
La vie de Hussein, la vie des Hachémites, c'est une partie de la lutte de l'Islam pour sa liberté. Lutte contre l'Empire ottoman d'abord, lutte contre le tout-puissant Empire britannique ensuite, lutte contre l'envahisseur juif enfin.
« Mon arrière-grand-père est enterré à Jérusalem, mon grand-père est mort sous mes yeux à Jérusalem, j'appartiens à la quatrième génération de ceux qui se battent pour la liberté et la reconquête totale de nos territoires. Je continuerai à me battre, jusqu'au sacrifice de ma vie. »
Sa vie nationale a dramatiquement changé ces derniers mois, depuis le sommet arabe de Rabat en octobre 1974. Poignardé dans le dos par ceux qu'il appelait « ses amis », il a été mis dans l'obligation de renoncer à toute prétention sur les terres situées à l'ouest du Jourdain, donc sur Jérusalem. Il s'est incliné. « J'ai accepté, car le monde arabe et vingt chefs d'État me l'ont demandé. »
L'histoire jugera plus tard si ce fut la bonne solution, la seule solution. Les membres de sa dynastie ont toujours, au fil des années, œuvré loyalement en faveur du peuple palestinien, et de ses droits nationaux légitimes. Aujourd'hui, dit Hussein, « il ne sert à rien de s'accrocher à un passé révolu. Mes sentiments personnels n'ont plus droit de cité. Mon seul objectif est et demeurera d'aider mes frères à récupérer leur patrie perdue ».
Coupant à vif un membre malade — la Cisjordanie —, il repart à zéro, sur des bases nouvelles, et décide de soutenir sans réserve l'Organisation pour la Libération de la Palestine, « en sa qualité de représentant unique et légitime du peuple palestinien ».
« Ce métier n'est pas facile, je vous prie de le croire. » Debout dès 6 heures du matin, il s'enferme dans son bureau du palais de Basman et reçoit chaque jour ses plus proches collaborateurs, ministres, généraux, ambassadeurs. Il n'a pas d'heure pour manger ; parfois, il ne mange même pas. Il termine sa journée vers 10 ou 11 heures du soir. Peu ou pas de vie familiale. Quand il n'est pas dans son cabinet particulier, il est dans un cantonnement militaire, dans une caserne, sur un terrain avec les blindés ou sur une piste avec ses aviateurs. Rarement, à son grand regret, il partage le repas de ses fidèles Bédouins du désert.
Quand Hassan du Maroc, un an après le complot de Skhirat, se fait mitrailler dans son Boeing et que le monde entier s'interroge encore sur l'avenir de la monarchie chérifienne, un seul homme vole au secours de son ami et vient l'aider à surmonter cette épreuve à Rabat : Hussein. C'est dans la nature du jeune roi, dont les cheveux se sont faits plus rares et ont blanchi avec les années. Il ne demande pas qu'on vienne le congratuler à Amman après tel complot ou telle tentative d'assassinat. Il veut seulement savoir qui sont ses vrais amis, ceux sur lesquels il peut compter.
Ses « ennemis » arabes des vingt dernières années ne sont plus de ce monde ; d'autres hommes sont aujourd'hui à la tête de leurs pays, des hommes, comme Hussein, plus calmes, plus pondérés, plus lucides, des hommes, comme il aime à le dire « de bonne volonté ».
Certes, il sait que sa vie est toujours en danger. Il aura quarante ans à l'automne. Craint-il la mort ? « Absolument pas, pour l'avoir vue tant de fois en face. Je ne crains que Dieu. » Il craint aussi de ne pouvoir terminer sa tâche, qui est encore longue et qui, si les conditions politiques ne s'y opposent pas, devrait faire de la Jordanie en 1985, un Etat dont les ressources du sous-sol — potasse, phosphates, et peut- être pétrole — lui permettraient enfin de pouvoir subvenir seul à ses propres besoins.
Pour Hussein le Hachémite, être roi, comme il le dit, « c'est être constamment préoccupé par l'avenir, c'est essayer d'être un exemple pour les autres, c'est essayer de mettre sur pied un système de gouvernement durable, parce qu'il appartient à mon peuple, parce qu'il répond à ses aspirations et à ses attentes ».
Sa vie n'est qu'une étape, une transition dans l'histoire de la Jordanie, « et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que les générations à venir connaissent de meilleures conditions de vie que les nôtres ». I1 doit sans cesse penser à demain, à après-demain, à la Jordanie des années 80. « Je souhaite que nous devenions un exemple pour les autres pays dans cette région. »
Tout au long de ces années de règne, il a essayé d'abolir les barrières le séparant de son peuple, afin de mieux l'aider à progresser. Différentes étapes furent franchies, certaines très difficilement, pour ne pas dire dramatiquement, « mais il nous reste encore une longue route à parcourir, semée d'embûches et je serai là pour aider mon peuple à les franchir ».
Fataliste, Hussein l'est, comme tout musulman. A chaque instant, il s'en remet à Dieu, espérant, grâce au Tout-Puissant, pouvoir continuer son chemin vers le progrès et la liberté, « avant que Dieu ne me rappelle à lui. Ce jour-là, seulement, j'aurai gagné mon pari ».